Friday, September 22, 2006

Opka (La Nausée)

[Ce texte ("Opka") a été écrit l'année dernière, en août 2005, à la suite des attentats de Londres (07/07/2005) et après avoir vu le film admirable d'Ashutosh Gowariker Swades qui est très gandhien dans sa tonalité et très critique vis-à-vis de l'Inde contemporaine et des Indiens d'aujourd'hui, qu'ils vivent en Inde ou à l'étranger.

Il faut aussi lire ce texte en ayant à l'esprit ce qui ce passe dans "ma" communauté de musulmans chiites duodécimains (Khoja Shia Ithna Ashery) de Paris, Madagascar, Londres, Toronto, New York, etc., où petit à petit tout ce qui, de près ou de loin, rappelle l'Inde (ou les Indes) continue d'être éliminé et rejeté parce que cela serait "païen" ou "non-islamique" voire "anti-islamique", ce qui est, bien sûr, d'une stupidité immense !

Cela est non seulement absolument affligeant et attristant, mais encore ce genre de destructuration, de destruction et de fanatisme peut expliquer le fait que des jeunes gens totalement aliénés et manipulés décident un jour
(comme à Londres en juillet 2005) de poser des bombes et tuer abominablement et aveuglément d'innombrables innocents dont certains sont aussi musulmans...!

Voilà quelques précisions qui peuvent, peut-être, éclairer ce texte...

Mounir Nassor ]



Nous laissons mourir à petit feu
Parfois même à gros bouillons
Nos héritages, nos cultures
Nos littératures
De ce pays que nos ancêtres
Ont quitté plusieurs décennies auparavant
Et avant tout
Nous laissons mourir
Nos langues maternelles
Que ce soit le Kucchi ou le Gujrati
Ou les deux en même temps

Avec ces langues, c’est toute notre histoire
Notre mémoire et nos émotions
Nos rires et nos pleurs
Que nous laissons partir en fumée

Beaucoup de nos enfants
Ne comprennent plus que quelques bribes
Encore moins peuvent balbutier quelques mots
De nos langues si savoureuses

C’est tellement commode
Et facile d’accuser les autres
D’inventer de fausses raisons
L’occident, le monde moderne
Et je ne sais quoi d’autre
Alors que les coupables
Les vrais responsables
Ils ne sont pas ailleurs
Ils sont en nous

La Nausée de voir, de ressentir
Notre culture qui part en lambeaux
…ce n’est personne d’autre, c’est nous-même…

Cette Nausée
Ces sentiments de frustrations
De malaise immenses
De l’égarement
Du déracinement
De l’aliénation
…c’est nous-même qui en sommes responsables…

Pourquoi aussi laissons-nous faire
Ces moullahs et ces moulianis
Et autres barbus d’un autre monde
Pourquoi les écoutons-nous
Eux qui viennent d’on ne sait où

Nous ne disons rien
Quand ils nous enlèvent petit à petit
Jour après jour
Semaines après semaines
Mois après mois
Un peu de nous-mêmes
Un peu de notre âme
Un peu de notre vie
Ces petites choses
Parfois toutes petites choses
Qui font
…notre joie de vivre

Jadis, nous célébrions nos fêtes et nos mariages
Avec mille et une couleurs
Et même davantage
C’était joyeux
Féerique et magnifique
Nous écoutions et jouions aussi un peu de musique
Nous faisions des petites scénettes de théâtre aussi
Et parés de nos plus beaux habits
Armés de baguettes multicolores
Nous faisions de petites danses
Ces dandias et ces ratsras
Si magiques et si fabuleux
Tout droit venus du fin fond de notre culture gujrati

Il n’y avait aucune vulgarité, aucune indécence
Aucune obscénité ni malveillance
Contrairement à ce que nous ont fait croire
Ces moullahs et ces moulianis
Venus d’un autre siècle
Et d’une bien lointaine contrée

Et pourtant, ils sont venus ces barbus
Intolérants et arrogants
C’est nous qui les avons fait venir
Et plus encore
On a fait venir les plus fanatiques d’entre eux
Les plus intransigeants
Ceux qui vitupéraient le plus
Et transformaient nos rêves en cauchemars
En altérant les vérités en mensonges odieux

Tous ne sont pas pareils pourtant
Ceux qui étaient ouverts d’esprits
Tolérants et cultivés
Sages et bienveillants
On les a écartés
On leur a fermé la porte de nos mosquées
Et de nos madrassas

On a préféré faire venir des imprécateurs
Des lanceurs de malédictions et des culpabilisateurs
Des menteurs de première, des escrocs même !
Il y en avait qui avaient
L’esprit louches et tordu
…quand ils n’étaient pas simplement véreux…

Nous les avons laissés
Nous dépouiller
De nos rites,
De nos couleurs
De nos sons
De nos langues
…et finalement, quel résultat ?!
…nous avons presque tout perdu
…et en tout premier…
…la plus belle chose qui soit
…notre joie de vivre…

Aujourd’hui nos fêtes, nos mariages
Sont si tristes et si affligeants
Qu’ils ressemblent à de funèbres enterrements
A chacune de ces cérémonies
On a envie que d’une chose
…pleurer…
Est-ce ainsi que l’on doit célébrer des festivités ?

Dans la crainte de l’enfer et de supplices atroces
Tous plus faux les uns que les autres
Nous avons laissé faire nos barbus malveillants
Nous les avons laissé fulminé contre nous-même
Et nous lancer d’abominables malédictions
Que la musique
Que danser les dandias et les ratsras
Que regarder des films
C’est interdit, défendu, proscrit, haram !!
Alors que quand on y regarde de plus près
Tout cela ne contient aucune offense
Ni à Dieu ni à quiconque
…sauf à la bêtise malsaine et aux esprits obtus
…de ces barbus qui n’y comprennent manifestement rien

Tout le temps, ils nous terrorisent avec l’enfer
Mais, moi, l’enfer, je le vis tous les jours
Je le vis à cet instant même !
Quand pour exprimer ma colère
Ma tristesse, ma détresse
… ma honte, ma nausée
Il me faut …
…le faire dans une langue « étrangère »
Car dans ma langue maternelle
- j’ai tellement honte de le révéler-
…je ne peux plus le faire…
…je ne connais plus les mots pour le dire...

Dans nos madrassas à Bagneux et à La Courneuve
Il y a des classes et des cours pour les enfants
Mais, dans ces classes, tout est consacré
A la religion, à la religion, à la religion…

Aussi triste que cela puisse paraître
C’est à peu près la même chose
A Toronto, à Londres
A New York ou à Tananarive
Et en bien d’autres endroits

Dans aucune, on n’y apprend le Gujrati
Et encore moins le Kucchi
Dans aucune, on n’enseigne d’où nous venons
Il faut bien que l’on sache d’où nous venons
Autrement, comment savoir où nous allons ?

Personne ne connaît notre très riche passé
Notre littérature fameuse
Nos proverbes si amusants
Nos blagues si savoureuses
Et quelques unes mêmes un peu malicieuses
Et sans nos comptines et nos berceuses
Quels rêves nos enfants peuvent-ils bien faire sans elles ?
Qui viendra les leur dire et les leur raconter
Et les transmettre à nos petits-enfants ?
Si nous-mêmes nous nous en fichons
Et dilapidons à grand seau
Nos rites, nos langues millénaires

Si peu aujourd’hui savent que Gandhi
Cet homme que le monde tout entier nous envie
Qu’il était de chez nous, qu’il était né Gujrati
Qu’il parlait et écrivait aussi en Gujrati aussi
Alors que beaucoup de nos enfants
Et certains de nos adultes ne savent même plus
…qui était Gandhi…

Mon pays, l’Inde, me manque terriblement
Les couleurs de nos fêtes et de nos mariages d’antan
Me manquent terriblement
Les musiques, les danses de mon enfance
Me manquent énormément
Les sons, les mots, les blagues, les proverbes
Dans ma langue maternelle
Continuent de résonner fébrilement dans mon cœur
Et telle une flamme vacillante
…mon âme craint la bourrasque

Mais je sais qu’avec le temps
Ces sons frais et mélodieux
Ces images joyeuses et heureuses
D’un passé qui s’éloigne à grand pas
Se font chaque jour plus lointains et plus effacés

Bientôt, j’aurai tout oublié
Il ne me restera plus rien
Alors, ce jour-là
Accablé de chagrin et de honte
Et plein d’une nausée insupportable

…je me pendrai…

Mounir Nassor
(mounirnassor@yahoo.co.in / www.myindias.blogspot.com)

1 comment:

Anonymous said...

ce pomes m'est allé droit au coeur! Car je suis aussi un autre passionné de Bhârat Mâtâ. Je suis très touché qu'un jeune pense ce que tu écris, et ça me rend très optimiste car tant qu'il y aura des jeunes comme toi, non! Notre culture n'est pas et ne sera jamais morte. Jay Bharat. Azad Monany.